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JEAN-MARC BOUILLON, ARCHITECTE-PAYSAGISTE, PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION FRANÇAISE DU PAYSAGE (FFP) « Le végétal offre une réponse aux problèmes urbains de demain »

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Quelles sont les relations entre la FFP et les autres familles de la filière horticole ?

Elles sont excellentes. Val'Hor est une chance, un outil qui valorise chaque famille professionnelle. Notre faiblesse à nous est le manque de reconnaissance de notre titre : Val'Hor nous aide à la combler. Les dernières Assises du paysage de Strasbourg nous ont permis de mettre en avant notre unité, une unité comme elle n'existe qu'au sein des métiers agricoles. Je pense que nous appartenons tous à des cercles : celui des métiers agricoles, qui nous relie à la FNPHP et à l'Unep, en est un ; celui des métiers de la conception nous rapproche plutôt des architectes... Dans l'ensemble, les membres de la FFP se sentent proches du second cercle, mais nous sommes unis dans le premier par la technique, le végétal...

Quelle part occupe le végétal aujourd'hui dans vos projets ?

Tout dépend de l'angle sous lequel on prend la question. D'un point de vue économique, les végétaux représentent autour de 10 % du montant des travaux que nous traitons, ce qui n'est pas beaucoup. Mais les plantes sont déterminantes pour la qualité des projets. Avec ou sans arbres, la terrasse d'un établissement ne proposera pas la même ambiance. Pour réaliser des projets peu coûteux, il suffit de les végétaliser fortement ! Si les honoraires des paysagistes en sont moins importants sur le moment, puisqu'ils sont proportionnels au montant des travaux, sur la durée, ces projets permettent de nouer des relations fortes et de bien valoriser son savoir-faire. Le végétal offre aujourd'hui une bonne réponse aux problèmes urbains de demain, offrant en particulier à la ville une meilleure résilience aux changements climatiques. Ce n'est pas un hasard si, ces dernières années, trois paysagistes ont reçu le prix de l'urbanisme.

Comment faites-vous évoluer votre palette végétale ?

Le premier élément d'évolution est la mode. On peut dater certains projets en fonction de la palette utilisée. Les grands alignements de Liriodendron ou Liquidambar datent des années 80, les Fraxinus 'Flame' ou certains Malus, des années 90, les bambous sont typiques des années 1995 à 2005 et les graminées marquent la période actuelle. Cette mode s'enrichit de l'expertise qui rend les choix de végétaux meilleurs. Certains gestionnaires de patrimoine et certains producteurs ont largement enrichi leurs connaissances et leurs disponibles. Les villes font disparaître les plantes qui demandent un entretien et des usages compliqués : dans certaines zones, il faut éviter les grands écrans végétaux pour mieux surveiller les quartiers sensibles. Les arbustes sont les grands perdants. Globalement, les palettes végétales ont gagné en maturité et c'est bien. Demain, on devrait assister à la montée en puissance de l'aspect nourricier des végétaux, les toitures vont devenir un nouveau foncier à conquérir... C'est la notion d'infrastructure verte que nous souhaitons promouvoir, l'objectif étant de prouver que la ville ne peut pas fonctionner sans végétaux, surtout s'il faut la densifier.

Trouvez-vous facilement les plantes que vous recherchez ?

À l'échelle européenne, oui ! Mais la question se pose plutôt entre les entreprises du paysage et les producteurs, car les paysagistes n'achètent pas les végétaux qu'ils choisissent. Ce qui manque aux producteurs français, c'est la capacité de regrouper leur offre et de bien répondre aux besoins de service des entreprises du paysage, en particulier sur la gestion en flux tendus qui impose des livraisons à des heures précises en des points précis sur les chantiers de plantation. Nous, paysagistes, n'allons pas assez souvent en pépinières, mais les producteurs français ont du mal aussi à séduire, à venir nous voir pour nous proposer leurs végétaux. Après un salon comme Paysalia, en décembre dernier, les pépiniéristes étrangers ont assuré un suivi commercial qu'aucun Français n'a fait...

Les entreprises du paysage interprètent-elles correctement vos projets ?

Globalement oui, ça se passe bien, même si on voit ça et là remonter quelques incompréhensions, sur des projets jugés trop chers, peu réalistes... L'interprofession va permettre de rendre la compréhension mutuelle plus naturelle.

Après la conception, les projets évoluent-ils selon vos prévisions ?

L'entretien reste souvent le grand oublié des concepteurs. Mais, pour moi, si l'entretien change la nature du projet, ce n'est pas très grave. Notre rôle est de nous immiscer pendant un laps de temps finalement assez court dans la vie d'un projet, puis il évolue avec le temps, c'est dans l'ordre des choses. Je ne suis pas trop attaché à ce que l'oeuvre que nous réalisons soit immuable.

Les paysagistes ont toujours été assez distants vis-à-vis du fleurissement...

Mettre des petites fleurs dans un jardin qui n'a pas été conçu pour, voilà un sujet à l'origine de discordes ! Les choses évoluent dans le bon sens. C'est très bien, car le fleurissement a toujours été beaucoup plus remis en cause sur la forme que sur le fond. Le fleurissement annuel recule, même s'il faut conserver des savoir-faire horticoles comme la mosaïculture. Il faut toutefois proposer autre chose. Les comités de fleurissement y sont ouverts.

Comment se déroule l'année en cours ?

Nous sommes extrêmement attentifs aux trois prochaines années. Il va y avoir des refontes territoriales, les agglomérations vont se reconstituer et s'agrandir, avec des ruptures dans les chaînes décisionnelles, certaines collectivités n'auront plus les financements pour réaliser tous leurs projets... Il faut donc que l'on renforce notre communication autour de la notion d'infrastructure verte, que l'on explique que c'est parce que nous sommes en crise qu'il faut créer des espaces verts. Les gens ont moins de moyens et acceptent de vivre dans de plus petites surfaces à condition de bénéficier de parcs et de jardins à proximité. Sinon, ils ont la promiscuité sans les compensations.

Donnez-nous trois bonnes raisons d'être optimiste !

Tout d'abord, les collectivités qui font confiance aux paysagistes sont toujours plus nombreuses. Notre maturité paye. Ensuite, la profession se resserre, gagne en connivence. Le travail de la FFP est plus serein. De plus en plus de paysagistes ont compris l'intérêt que la profession a à se structurer. Enfin, le marché de la qualité de vie en ville est sans limites. D'ici quelques années, 3,4 milliards d'habitants vont vivre dans des villes qui n'existent pas encore ou qui vont être restructurées. Rien qu'en France, nous serons 70 millions à un horizon assez proche, et nous devrions avoir 8 millions d'urbains en plus. Il y a beaucoup à faire. Ces marchés peuvent être saisis à condition que nous nous regroupions pour nous imposer à l'international : les villes françaises sont reconnues pour leurs qualités au-delà de nos frontières. À nous d'en tirer profit !

Pascal Fayolle

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